Les hôpitaux se réorganisent comme ils peuvent…
“Nous ne sommes pas à saturation, nous avons plusieurs jours devant nous”. C’est par ces mots qu’Aurélien Rousseau, directeur de l’ARS (Agence régional de santé) d’Île de France tentait de rassurer les franciliens.
Pourtant les témoignages des soignants au sein des urgences sont déjà alarmants. Ce qui impressionne le plus, c’est la vitesse de dégradation des patients. Certains arrivent avec une saturation en oxygène du sang quasi normale – autour de 94% – et se retrouvent intubés-ventilés en réanimation 3 heures après. Face à l’afflux de patients – notamment jeunes – certains services d’Île de France et du Grand Est ont déjà commencé à durcir leurs critères d’admission en réanimation en mettant une limite d’âge, 70 ans pour quelques uns – 65/60 ans pour d’autres.
D’autres soignants rapportent que les masques commencent à manquer, il n’y a déjà plus de surblouses dans certaines unités d’urgences.
De façon globale, c’est tout l’hôpital qui se réorganise et tente d’anticiper la vague de patients Covid + qui s’annonce. A la Pitié-Salpétrière, 2 bâtiments disposant notamment de services de médecine interne et d’endocrinologie ont été rebaptisés covid +. Les consultations et opérations non urgentes ont été reportées ce qui permettra de réaffecter les soignants dans les unités qui en auront besoin. Les gardes d’urgences, de réanimation, de neurologie sont doublées, au cas où un soignant serait positif au coronavirus.
Des pools d’internes de réserve se créent, une plateforme permettant aux internes de se porter volontaires pour venir porter main forte en cas de besoin a été créée pour les urgences et les réanimations. 1 200 internes se sont manifestés.
Mais la situation est disparate en France. A l’Est on ne peut plus prendre de jour de congé tandis qu’à l’Ouest on a encore le temps de se préparer, les soignants apprennent à intuber en séquence rapide au vu de la rapidité de dégradation des patients. A Brest, une unité mobile covid + est créée et fera le tour des services avec des patients positifs pour adapter au mieux la prise en charge.
Dans un contexte particulier…
Cela fait déjà 1 an que les hôpitaux alertent sur le manque de personnel, de moyens et d’infrastructures au travers d’une grève qui a débuté en mars 2019. Le gouvernement est resté sourd à leur demande. 17 500 lits ont été fermés depuis 2013. En 1980, la France disposait de 11 lits d’hôpitaux pour 1000 habitants, en 2013 il n’y en avait plus que 6,5.
Les recommandations de l’OMS sont claires : “Testez, testez, testez”. La France a fait le choix de ne tester que les cas fortement symptomatiques, faute de moyens de pouvoir tester tout le monde. A Bordeaux par exemple, le laboratoire de biologie médicale ne dispose pas des infrastructures et de réactifs suffisants pour réaliser des PCR (Polymerase Chain Reaction), technique utilisée pour dépister le coronavirus. D’autres pays avec des résultats concluants, comme la Corée ou Singapour, ont utilisé ce dispositif de tests massifs.
Et pourtant le risque de pandémie est bien présent depuis des décennies. Le professeur Sansonetti, titulaire de la chaire microbiologie et infectiologie depuis 12 ans au Collège de France, n’a cessé d’insister sur le risque élevé de survenue d’une infection émergente. A peine 1 mois après sa leçon de clôture au collège de France, il revient pour un dernier cours intitulé : “Covid-19 ou la chronique d’une émergence annoncée”. En effet, 1 million de pangolins, animal intermédiaire du coronavirus entre la chauve souris et l’homme, passent d’Afrique en Asie chaque année. Ainsi à Wuhan, 60% des marchands sont colonisés par un coronavirus (autre que le SARS-Cov2), sans présenter de symptômes.
Le nombre de zoonoses, maladies infectieuses de l’animal qui se transmettent à l’Homme, ne cesse d’augmenter : SARS en 2003, MERS en 2010, Ebola en 2014, et maintenant SARS-Cov2.
La recherche d’un vaccin, qui pourrait être comme celui de la grippe décliné chaque année, sera essentielle pour lutter contre les futures pandémies, SARS-Cov3 – 4 – 5 qui pourraient émerger dans les années futures… Une équipe du CNRS Aix-Marseille dirigé par Bruno Canard travaille sur le coronavirus depuis plus de 15 ans. Suite à l’épidémie de SARS en 2003, il est rentré dans un réseau collaboratif européen qui a permi de mieux comprendre le virus. Mais depuis les politiques européennes ont changé, il a tenté de prévenir la Commission Européenne sur l’importance d’anticiper une éventuelle épidémie, mais rien n’y a fait, il a vu ses financements s’amenuiser et les conditions de travail de ses collègues se dégrader. “En Europe comme en France, la tendance est à mettre le paquet en période d’épidémie, et puis après on oublie”. Cette fois-ci, il ne faudra pas oublier.
L’avenir reste à écrire
Une fois la crise sanitaire passée, beaucoup de questions émergeront. Il aura peut-être malheureusement fallu une crise sanitaire pour que beaucoup réalisent que notre système, performant dans sa zone de confort, est aussi extrêmement vulnérable au moindre grain de sable qui s’invite dans sa machinerie. Mais est-on si sûr que les choses vont changer?
Face à la crise, comme en 2008, la BCE (Banque Centrale Européenne) applique la politique d’assouplissement quantitatif (QE) qui a déjà montré son inefficacité à faire repartir la croissance de l’UE. Faut-il continuer à alimenter la croissance par de la dette? La dette publique en France atteint 100% du PIB, celle du privé bien plus. Ou alors peut-être faudrait-il se servir de l’endettement pour initier la transition écologique ?
Alors dans un monde fini, faut-il une croissance infinie? Nous allons très probablement être en récession (décroissance) en 2020, les émissions de gaz à effet de serre pourraient donc diminuer. Comme la croissance est le principal vecteur de réduction des inégalités et du chômage, comment vivre dans un monde en décroissance et diminuer les inégalités sociales? Peut-être en augmentant les impositions sur les hauts revenus du capital comme le proposent certains ? Peut-être en partageant le temps de travail? Peut-être en mettant en place un revenu universel?
Faut-il nationaliser les compagnies aériennes et permettre aux avions – l’un des principaux polluants – de circuler autant qu’avant? Ne vaut-il pas mieux réorienter une partie de ces métiers vers des secteurs qui en ont besoin, comme l’hôpital public par exemple?
Bien d’autres questions vont se poser, et elles auront bien sûr toutes leur légitimité, il faudra par principe ne rien s’interdire de questionner.
Au fond le préalable aux réponses à ces questions sera de questionner nos priorités, celle de Refondation sont claires : le lien et le partage, la santé pour toutes et tous, la réduction des inégalités et la responsabilité face à l’urgence écologique.
Nous savons désormais que ce n’est plus une question de moyens, mais une question de volonté : nous sommes capables d’investir des milliers de milliards pour sauver notre système économique et financier, alors pourquoi pas pour sauver notre système de santé qui en a tant besoin, ainsi que notre planète et les espèces qui y vivent ?
Where there is a will, there is a way.
Guillaume Cogan, interne en médecine à l’APHP